Le diable par la queue
Légende de Haute-Saône…ou histoire vraie ?...puisque historiquement située au temps de François 1er et authentifiée par le héros de cette aventure, Tiennot d’Auxon-lès-Vesoul (actuellement Auxon, au nord de Vesoul), dont on pourra constater l’existence sur les registres paroissiaux de l’époque.
Tiennot était bûcheron. Un jour d’hiver, froid comme la mort, il découvrit un inconnu gisant
sur le sentier du bois du Troussard. N’écoutant que son cœur, il chargea l’homme sur son dos
et le ramena au logis. Sa femme, la Barbotte, venait de faire cuire la dernière miche.
Tiennot déposa son fardeau sur la sole du four encore chaude et referma la porte, en prenant soin d’ouvrir la chatière pour que le bonhomme gelé puisse respirer s’il reprenait vie.
Tiennot s’attablait pour manger un morceau de pain quand la Barbotte poussa un cri :
- Regarde, par la chatière, cette queue rousse. Es-tu sûr que c’est un homme que tu as ramené ?
Tiennot s’approcha et tira sur la queue. Un hurlement retentit dans le four. Le bûcheron tira encore.
- Arrête. Arrête. Tu me fais mal ! Arrête et je te donnerai tout l’argent que tu voudras…Tiens, prends ces pièces d’or.

En voyant la main aux longs ongles crochus qui tendait les pièces à travers la chatière, Tiennot s’écria :
- Mais, tu es Satan !
- Je le suis, répondit la voix, le froid, mon seul ennemi, a failli me tuer mais,
grâce à toi, me voici revenu à la vie. Demande-moi ce que tu voudras et tu l’auras. Ce sera mon merci.

Tiennot réfléchit. « Pas facile de se décider aussi rapidement ! Je vais d’abord aller voir mes amis à l’auberge d’Auxon. Nous arroserons ma bonne fortune et ils me conseilleront…»
Au moment de sortir, il se ravisa. « Il serait dommage que mon pourvoyeur s’enfuie en mon absence », se dit-il et, malgré les hurlements du diable,
il cloua sa queue sur la poutre soutenant le four.

A son retour, Tiennot, tout émoustillé par les
du four et tira sur la queue.
J’ai des projets. Je veux ouvrir une auberge Pour l’approvisionner, je vais faire construire
et liqueurs à mon usage. Je veux aussi faire
et mille autres choses encore.
Satan tint sa promesse. Sous les yeux éblouis
cuisine. Il ne délivra pas son prisonnier
pour
idée pouvait venir.


bouteilles qu’il avait vidées, alla vers la porte
- J’ai grand besoin de ton or, dit-il au diable.
dans laquelle on mangera et on boira gratis.
un couvent où les moines fabriqueront vins
bâtir une école pour les enfants d’Auxon…

de Tiennot, les pièces s’amoncelèrent dans la
autant, se disant que, dans la nuit, quelque autre


Le lendemain, Tiennot partit pour Vesoul avec un âne chargé de sacs d’or. Tout au long de la route, il distribua des pièces à pleines poignées si bien que, en arrivant à la ville, ses besaces étaient vides.
« Qu’à cela ne tienne, pensa-t-il, je vais retourner au logis et demander une rallonge au diable…»
Quand il arriva chez lui, il trouva la Barbotte en larmes qui l’attendait sur le seuil.
- Tout cet or n’était pas honnêtement gagné, lui dit-elle. Nous ne sommes pas faits pour avoir autant d’or…c’est pourquoi j’ai coupé la queue du diable pour qu’il s’en aille.
En remerciement, il m’a bousculée au passage et cassé deux dents !

Tiennot se précipita vers le four. Pour tout souvenir de cette aventure, il restait, cloué à la porte, l’appendice du malin qu’en vain Tiennot se mit à tirer…


D'après "Contes et légendes de Haute-Saône" par Michel BREGNARD