Légende de l'Houlette
Notre belle vallée est le pays des légendes. Il m'en souvient d'une que me conta ma vieille bisaïeule, un soir de décembre,
alors que les rafales du vent faisaient grincer désespérément les girouettes rouillées des vieux pignons. Voici cette légende :
Cela se passait il y a très longtemps, à l'époque d'Henri II, si vous voulez.
Les vieilles ruines féodales n'étaient point alors des ruines, c'étaient de beaux châteaux fièrement campés, de-ci de-là, sur de gros pitons granitiques, ou dissimulés
au fond des vallées dans un fouillis de verdure.
Ils appartenaient à de riches, nobles et puissants seigneurs qui menaient,
au détriment des manants et vilains, agréable et joyeuse vie.
A cette même époque, une petite bergère qui habitait La Chaulme, à une lieue de Saillant, venait régulièrement chaque jour faire paître ses brebis, sur le rebord du plateau qui domine, presque à pic, la vallée de l'Ance. Elle était coiffée d'un joli bonnet de dentelle et guidait son troupeau avec une houlette toute embaumée et terminée
au sommet par une croix. Elle était si mignonne et si gentille, la petite bergère,
que les beaux seigneurs qui venaient caracoler aux alentours, lui adressaient
souvent des mots aimables :
« Bonjour, ma mie » --- « A vos ordres, la belle ».

Une robe à traîne
Souvent aussi, la petite bergère apercevait de belles dames, avec des robes à traîne,
qui venaient se promener au bord de la rivière : c'étaient la marquise de Craponne, la comtesse
de Beaufranchet, la baronne de Montcelard, les châtelaines de Montpeloux, de La Chaulme,
de Viverols et bien d'autres encore. Et dès qu'elle les voyait, elle se mettait à pleurer.
Pourquoi n'était-elle pas marquise, comtesse ou châtelaine ?
Pourquoi n'avait-elle pas des robes de soie ou de velours ?
Et devant la croix de sa houlette, elle s'agenouillait et demandait au bon Dieu
et à la bonne Vierge, de devenir un jour princesse ou baronne à son tour. Mais le bon Dieu
et la bonne sainte Vierge restaient sourds à ses prières.
Un jour, comme elle sanglotait très fort, la tête dans ses mains, un jeune seigneur s'approcha d'elle, posa doucement
la main sur son épaule et lui demanda la cause de son chagrin. Sans détour, elle avoua son désir de devenir
une grande dame et d'habiter un beau château. « Je sais le moyen de te rendre riche et puissante, lui dit le jeune homme
en souriant d'étrange façon, place ta houlette dans la mousse et marche sur la croix.
 »
Elle sentit bien que ce qu'elle allait faire était très mal, mais, comprenant que peut-être, ce serait l'unique moyen
de toucher à son rêve, elle suivit le conseil et mit son petit pied sur la croix… Aussitôt, elle se trouva habillée
d'une superbe robe de satin, parée de bracelets et d'anneaux d'or. Une joie intense l'envahit,
elle allait pouvoir descendre dans la vallée et se mêler aux marquises et aux comtesses.
Mais avant, elle voulut dire adieu à son troupeau qu'elle allait laisser pour toujours.
Elle s'approcha de ses moutons et les appela pour les caresser une dernière fois. Ceux-ci, voyant leur maîtresse en si bel appareil, se sauvèrent. Seul son agneau favori n'avait point fui. Il se désaltérait à une petite source qui sourdait d'une fissure de rocher. Elle se dirigea vers lui, mais comme elle allait le saisir, un bruit épouvantable
se produisit, le rocher se fendit et un gouffre béant s'ouvrit sous les pieds de la petite princesse…Elle essaya de se raccrocher aux genêts de la montagne pour ne point rouler au fond de l'abîme. Alors, la source où buvait l'agneau se transforma en un torrent impétueux et dans un remous d'écume blanche,
la petite bergère
fut enveloppée et entraînée dans le gouffre sans fond…

Depuis lors, une majestueuse cascade s'élance du sommet des rochers, dégringole à travers
les blocs de granit et vient s'engloutir dans une sorte d'entonnoir : « Le creux de l'Houlette »
Amis lecteurs, lorsque vous visiterez la cascade, vous songerez à la petite bergère envieuse que le diable avait fait pécher
et qui dort maintenant son dernier sommeil dans le trou d'ombre noire, où jamais personne n'a pu pénétrer.
Silvain VIOR (Almanach de SAILLANT année 1914)

Autre version
Il est question d’un jeune homme qui propose à notre bergère de se trouver en haut de la cascade, à Noël,
pendant la messe de minuit, au moment de l'élévation. Elle jetterait sa houlette à terre et piétinerait la croix, pour avoir alors
à sa disposition tout l'or et les bijoux qu'elle pourrait prendre, mais seulement pendant le temps de l'élévation... Sur ces mots,
il disparut comme il était venu, laissant la pauvre fille tout interdite. Elle rentra au moulin du plus vite qu'elle put et raconta
tout à ses parents. «Malheureuse, lui dirent ils, pendant la messe de minuit, tu n'y penses pas, il n'y a pas
un seul chrétien dans toute la région qui oserait manquer cette messe.
»
Lorsque la veillée de Noël arriva, ses parents l'invitèrent à venir avec eux à la messe. Elle refusa, disant
que personne ne lui ferait manquer le rendez-vous proposé. Devant son entêtement, ses parents
l'enfermèrent à clef dans sa chambre.
Mais le moment venu, elle s'échappa par la fenêtre.
Comme convenu, le jeune homme était là,
grande pierre plate. Au moment de l'élévation,
Alors la roche s'ouvrit et un monceau d'or

Puisqu'elle n'avait qu'à se servir,
comme panier et se mit à ramasser
juste au sommet de la cascade, sur la
elle jeta sa houlette sur la pierre et piétina la croix…
et de bijoux apparut devant ses yeux émerveillés.
elle releva le bas de sa robe qu'elle utilisa

diamants, rubis, pièces d'or et d'argent.
Elle en voulait plus, toujours un peu plus. Cependant, là-haut à l'église, l'élévation prit fin…À cet instant,
la terre se mit à trembler, le sol se fissura
et la réserve d'eau du moulin envahit la fosse, noyant tout, culbutant
la malheureuse et son trésor et l'entraînant dans la cascade. Lorsque le flot arriva au pied de la chute, un ‘’gour’’
se forma et se remplit d'eau. La jeune bergère fut entraînée vers les abîmes de l'enfer, avec sa robe pleine
d'or et de bijoux où elle disparut pour l'éternité. Nul ne devait jamais la revoir.