Conte du Raton et de la Ratonne

Conte recueilli par Félix REMIZE (La Chaze-de-Peyre 1865 - Mende 1941) et traduit de l'occitan par son neveu
Félix BUFFIERE dans les Contes du Gévaudan. Le chanoine REMIZE a consacré l'essentiel de ses loisirs
à la rédaction de l' Armanac de Louzero par lui fondé en 1899.
Certes, la traduction en français n'offre pas la saveur de la langue occitane...
Il y avait une fois un Raton et une Ratonne qui partaient pour la messe. Et quand ils eurent marché un peu, la Ratonne s'aperçut qu'elle avait oublié ses gants.
-Tiens, dit-elle au Raton. J'ai oublié mes gants. Attends-moi là un moment, il faut que j'aille les chercher.
Et le Raton s'assit à l'ombre d'un petit frêne et dit :
- Je t'attendrai ici.
La Ratonne courut vite, monta à la chambre, ouvrit l'armoire et sortit ses gants. Mais en les mettant, elle se souvint qu'elle avait fait un peu de bouillon gras :
-Tiens, pensa-t-elle, il faut que j'aille en boire une gorgée, cela me remontera.
Au lieu d'en prendre dans une écuelle, comme à l'accoutumée, elle pense :
-Il te faut boire à la marmite, tu auras plus vite fait.
Ainsi fit-elle. Elle découvrit la marmite et trempa son petit museau dans la soupe. Mais le bouillon était passablement bas, si bien qu'elle se fit une belle élongation. Quand elle eut un peu bu, comme elle le trouvait bon, elle dit :
- Revenons-y !
Tout à coup, son pied glisse et elle s'enfonce dans la marmite. Elle fit bien deux ou trois tours,
mais la malheureuse fut contrainte de descendre jusqu'au fond.
Elle essaya bien de sortir, mais

chaque fois qu'elle montait, elle glissait à nouveau et tombait à la renverse dans le bouillon. Elle appelait bien assez son Raton, mais il lui fallut mourir, faute de secours.
Le Raton, qui l'attendait, disait :
-Où s'attarde donc ma Ratonne ? Qui sait pourquoi elle n'arrive pas ?
Quand il eut longtemps attendu, il entendit sonner la sortie de la messe.

-Ce n'est pas la peine d'y aller, songea-t-il. Il faut se retourner.
Et le Raton était là tout triste sous le petit frêne, et les gens lui demandaient ce qu'il avait.
Une femme lui dit :
-Tu es donc si triste, Raton ?
-Et oui ! Nous venions à la messe, avec la Ratonne ; elle s'est retournée et n'est pas encore revenue. Je ne sais pas ce qui a pu lui arriver.
-Il te faut vite y courir, pour voir ce qu'il y a de neuf.
En arrivant à la maison, le raton trouva la porte ouverte et il pensa :
-La Ratonne est bien venue, du moment qu'elle a ouvert. Qui sait où je la trouverai ?
Il la chercha dans tous les coins, sous tous les lits, à la cave ; il l'appela, mais sans pouvoir la trouver nulle part.
Après l'avoir assez cherchée, il eut faim et se dit :
-Il te faut manger quelque chose.
Il se souvint que le matin, ils avaient préparé une pleine marmite de bonne soupe et il mit sur le feu la petite marmite pour en faire chauffer une écuelle.

Et au moment de la tremper, il touche une chose dure, au fond de la marmite.
-Tiens, se dit-il. La Ratonne avait fait cuire un saucisson et ne t'en avait pas parlé. Tu vas le sortir et tu en mangeras un morceau.
Mais il le trouvait bien lourd. Chaque fois, il lui échappait.
-Tu as bien du mal à monter. Ah ! enfin ! je te tiens, pourtant !
Et il met le saucisson dans l'assiette.
Au moment d'en couper une tranche, il s'aperçut que ce saucisson avait une tête et des pattes...

-Oh ! quelle histoire ! dit-il. Qui sait ce qu'est ceci ? Ce ne serait pas ma Ratonne ?
Et en l'examinant d'un peu plus près, il vit qu'en effet c'était sa Ratonne qui s'était noyée. Elle était là, toute raide, avec ses petits yeux morts, avec ses gants.

Vous pouvez imaginer que le Raton eut assez bu et assez mangé !
Et il se mit à pleurer, en y mettant tout son souffle.
Le tabouret, qui était à côté de lui, lui dit :
-Pourquoi pleures-tu, Raton ?

-Ah ! J'ai bien lieu de pleurer : la Ratonne s'est noyée !
-Et moi je perds mes pieds, fit le tabouret.
Le banc à son tour lui dit :

-Pourquoi pleures-tu, Raton ?
-Ah ! J'ai bien lieu de pleurer : la Ratonne s'est noyée et le tabouret perd ses pieds.

-Et moi je perds mes montants, fit le banc.
Entre-temps, une pie se posa sur l'arbre du jardin et dit elle aussi :
-Pourquoi pleures-tu, Raton ?

-Ah ! J'ai bien lieu de pleurer : la Ratonne s'est noyée, le tabouret perd ses pieds et le banc perd ses montants.
-Et moi je perds mes plumes, fit la pie.

La servante, qui allait puiser de l'eau, en voyant sangloter le rat, lui dit à son tour :
-Pourquoi pleures-tu, Raton ?

-Ah ! J'ai bien lieu de pleurer : la Ratonne s'est noyée, le tabouret perd ses pieds, le banc perd ses montants et la pie perd ses plumes.
-Et moi je laisse tomber le seau.

Et voici qu'il entendit une voix, venue de sous le lit, et qui lui demanda à nouveau :

-Pourquoi pleures-tu, Raton ?
-Ah ! J'ai bien lieu de pleurer : la Ratonne s'est noyée, le tabouret perd ses pieds, le banc perd ses montants, la pie perd ses plumes et la servante laisse tomber le seau.
-Cela suffit, dit la voix.
C'était le chat qui, depuis un moment, observait la scène. Il sauta sur le Raton, le croqua et le mangea.
Si la Ratonne, mes enfants, n'avait pas été si vaniteuse, si elle n'avait pas été si gourmande, tous ces malheurs ne seraient pas arrivés.