Légende du Suc de la Reine
Il y a quelques années, je fis le trajet de Viverols à Ambert en diligence. Arrivé au haut de la côte, le conducteur arrêta
son attelage, pour permettre aux chevaux de souffler un peu, et aussi dans le but de se rafraîchir un tantinet à l'auberge
de Chemintrand*. Le bonhomme était loquace et, tout en vidant une bouteille de bon vin d'Auvergne, il me conta
la curieuse légende du Suc de la Reine (aujourd'hui Siège de la Reine 1200m).
Il y avait autrefois, me dit-il, au sommet de la montagne
qui domine le col, un redoutable château-fort. Ce manoir était
habité par une vieille reine qui possédait d'incalculables richesses.
Elle les gardait jalousement cachées, si bien que la châtelaine
une fois morte, personne ne put savoir l'endroit secret où elle enfouissait son or. On fouilla le sous-sol sans résultat, on retourna en vain toutes les pierres, le trésor resta introuvable.
Une vieille mendiante de Viverols, qui était un peu sorcière
aussi, assurait que les richesses de la défunte Reine reposaient sous une très lourde dalle, que les pioches des démolisseurs n'avaient pu ébranler. La nuit de Noël, au cours de la messe
de minuit, cette pierre se soulevait d'elle-même et la caverne
du trésor restait ouverte, pendant le temps de l'élévation.
Jamais, on n'avait pu contrôler ce lieu car, dans ce pays,
la foi des ancêtres demeurait vivace et personne
ne s'avisait de manquer la messe de minuit.
Pendant ce temps-là, dans toutes les églises des alentours, les fidèles s'étaient pieusement prosternés,
car la clochette de l'élévation avait tinté. Jean-Claude résolument pénétra dans la caverne.
Fiévreusement, il se mit à puiser dans l'or à pleines mains, remplissant son chapeau, gonflant ses poches,
bourrant ses chausses, et il ne songeait plus à la dalle qui, dans quelques secondes,
allait s'abattre d'elle-même sur l'entrée du caveau.
Tout à coup, la grosse pierre vira…Il se précipita vers la sortie, mais il pouvait à peine se déplacer, tant était lourd le poids de l'or qu'il portait. Quelques mètres à peine le séparaient de l'ouverture : il allait y arriver quand il trébucha et tomba évanoui. Dans les églises voisines, les fidèles agenouillés se relevaient car l'élévation était finie. La caverne s'était refermée…
Depuis, Jean-Claude demeure captif dans l'antre mystérieux qui ne s'ouvre plus jamais, de peur que le prisonnier ne s'évade, et les bonnes gens du pays assurent que parfois, on entend frapper des coups contre le rocher qui ferme la grotte.
C'est Jean-Claude qui demande à ce qu'on vienne le délivrer…
Silvain VIOR

* Col de Chemintrand, à 4 km environ au NW de Viverols, à la limite
entre St Just, Baffie et Eglisolles