Les énumérations présentant une certaine aridité,
|
|
Mes ancêtres |
|
Ils se multiplient tous en remontant les ans Avant
de s'en aller, hélas, à tout jamais, |
A
travers les époques, les coutumes, les lois, Sans
cette chaîne humaine, sans ces précieux maillons, |
Annie
NOUVEL-ARMAND, généalogiste des Bouches-du-Rhône |
|
E u x |
|
Ils sont nés, ils sont morts les uns après les autres, Les aïeux des aïeux, et les pères de ceux Qui penchent vers la tombe et dont les fils sont vieux, Ils sont nés, ils sont morts... C'est l'histoire des nôtres. On ne sait rien de leur destin ni d'eux. A peine ont-ils laissé quelques traces obscures, Leurs pas ont évidé le bois du seuil, leurs doigts Ont empreint sur la clef les signes de l'usure. La marque de leur corps est visible à l'endroit De la table où leur faim s'assit à l'accoutumée ; La pierre du foyer noirci témoigne encore Du feu qu'ont allumé les vivants d'un autre âge, Mais c'est tout. La maison, ses meubles familiers Ne peuvent nous en révéler davantage, Tant les morts sont lointains, tant ils sont oubliés. Ils sont nés, ils sont morts...Ils ont vécu pourtant, Ayant chacun son âme et chacun sa pensée, Portant chacun dans sa poitrine un coeur battant Au rythme de la vie cadencée. Comme tous leurs pareils, dont l'âme et dont la chair Sont plus faites pour la douleur que pour la joie, Ils ont joui parfois, souvent ils ont souffert, Nous n'en avons rien su. La tombe a fait sa proie De leurs os, de leur coeur, de tout leur être humain, Et leur pensée est morte, et leur âme voyage Dans un pays dont nul ne connaît le chemin, Et dont il n'est jamais revenu de message ; La grande ombre s'étend sur eux et sur leur sort Et rien ne nous est plus étranger que ces morts ! Il en est cependant qui nous quittent à peine, Ils n'ont pas eu le temps d'aller bien loin. Hélas ! l'oubli déjà rend leur trace incertaine, Et nous la retrouvons, chaque jour un peu moins. Pourtant, ô disparus d'hier, votre présence Nous était nécessaire et douce à respirer ; Vous ne nous aviez pas quittés sans déchirer Notre chair dont la vôtre avait formé l'essence. Avant que vous partiez pour l'ombre sans retour, Nous avions dans notre âme enfermé votre image, Et nous l'avions donnée en garde à notre amour, Pour que rien ne l'altère et que rien ne l'outrage. Nous nous étions donné de suprêmes adieux : L'obsession ardente, exacte et familière ; Nous n'avions qu'à baisser un moment les paupières Pour vous voir apparaître et revivre en nos yeux. Vous étiez là, tout près encore, avec la flamme Dont vos regards aimés luisaient auparavant, Avec la face chère où rayonnait votre âme, Et le timbre de voix dont vous parliez vivants : A peine commençait votre absence éternelle Et nous ne pouvions plus déjà nous souvenir Des traits que notre coeur s'efforçait à tenir, |
Scellés dans sa douleur frémissante et fidèle. Et comme on voit ceux qui s'éloignent dans le soir Diminuer, se fondre avec l'ombre épandue Telle dans un lointain inaccessible et noir, Votre apparence, ô morts, s'est dissoute et perdue. Car avant que la terre ait dévoré les corps De ceux qu'elle retient dans ses tristes demeures, Les pâles souvenirs dont les vivants se leurrent, Dans leurs coeurs impuissants sont plus morts que les morts. Ils ont passé...Mais dans la tâche qu'ils ont faite, Une beauté sévère et sainte se reflète ; Des tributs que la vie exige des humains, Ces pousseurs de charrue ont dans leurs rudes mains Apporté le meilleur et le plus nécessaire. Car ce n'est pas pour eux seulement qu'ils tracèrent Les labours où grandit le froment nourricier ; Des frères inconnus se sont rassasiés Du fruit qu'ils ont tiré de la glèbe rebelle ; L'humanité soumise à la faim éternelle, L'antique mal que nul de ses dieux n'a vaincu, Leur doit un peu du pain dont le monde a vécu. O bons semeurs de blé qui fûtes mes ancêtres, Vous qui, du lit des morts, rêvez à nous, peut-être, Que vos mânes profonds ne soient pas offensés Si je n'ai pas marché les pieds dans votre trace, Si je n'ai pas, fidèle à l'oeuvre de ma race, Repris votre sillon où vous l'aviez laissé. O morts, pardonnez-moi, si la maison natale, Si les champs qui devant ses fenêtres s'étalent Ne m'ont pas vu, pareil aux hommes d'autrefois, Pousser par les guérets la charrue ou l'araire, Si je n'ai pas, comme eux ensemencé la terre, Lui consacrant, comme eux, mes espoirs et ma foi ; Je n'en garde pas moins dans le sang de mes veines, Dans mon coeur délivré des ambitions vaines, Et jusque dans la moelle intime de mes os, Un indomptable amour pour cette terre amie, Que tous ceux de chez nous ont aimée et servie Avant de prendre en elle un suprême repos. Mon âme paysanne est fille de la vôtre ; Si j'ai pu quelquefois exprimer mieux qu'un autre L'émouvante beauté du rustique labeur ; Si pour dire ce vieux et antique poème, Il me vient des accents qui me troublent moi-même Tant je les sens frémir de tendresse et d'ardeur ; C'est à vous, mes aïeux, que j'en dois rendre grâce, Car mon oeuvre est la fleur de votre esprit vivace : Le souffle de mes morts y revient palpiter, Et, sans doute, ce sont les lointaines pensées Silencieusement dans leur être amassées Dont mon âme déborde et qui la font chanter. ........................................................................ Louis MERCIER poète du Roannais (Coutouvre 1870 - St Flour 1951) |